Le SOS des migrants subsahariens
Par Samir ABI
Ils sont nigérians, camerounais, libériens, bissau-guinéens, sénégalais, maliens, togolais, ghanéens, gambiens, guinéens en bref tout simplement des fils et filles du continent Africain. Ils sont maçons, peintres, commerçants, enseignants, pêcheurs, mécaniciens, blanchisseurs, travailleuses domestiques travaillant chaque jour pour gagner leur pain à la sueur de leur front. Ils vivent en Mauritanie depuis trois voir quinze ans pour d’autres. Le destin les a conduit là-bas où ils ont pu trouver un emploi et de quoi se développer personnellement tout en aidant leur père et mère restés au pays. Ils ne demandent qu’une chose: continuer à vivre légalement et travailler en Mauritanie. Leurs vœux ne semblent pas rencontrer les intérêts des autorités mauritaniennes qui ont fait de la régularisation de la situation des migrants, particulièrement des subsahariens, un parcours jonché d’obstacles. Quelques jours passés à leurs côtés nous ont permis de partager leurs craintes et leurs espoirs tout en mesurant l’ampleur et l’urgence de l’appui à leur apporter.
La carte de séjour : Un chemin de croix
Vivant depuis dix ans à Nouadhibou, ville à l’économie florissante au Nord de la Mauritanie, cette dame que nous appellerons Fatima pour respecter son souhait de rester anonyme, nous a raconté comment elle a pu se faire renouveler sa carte de séjour cette année. Malgré les quatre cartes de séjour déjà obtenues depuis 2012, année à laquelle la Mauritanie a commencé à exiger ce document, elle est toujours obligée, chaque année pour renouveler sa demande, de constituer le même dossier que les primo-arrivants. Pour sa cinquième demande cette année, elle a suivi comme les autres le même parcours administratif. La première étape a consisté à demander un enregistrement au registre de commerce en se rendant au tribunal de Nouadhibou. Par faute de pouvoir avoir un contrat de travail de leurs employeurs pour ensuite se procurer un permis de travail de l’inspection du travail mauritanien, les migrants se rabattent sur l’enregistrement au registre du commerce quelque soit leur profession. Ce premier document obtenu il faudra également veiller à avoir un passeport valide au moins quinze mois avant sa date d’expiration pour pouvoir être en mesure de déposer sa demande. Par malheur un de ces compatriotes ayant un passeport valable encore treize mois avant son expiration a dû rejoindre l’ambassade la plus proche qui se situe à Dakar au Sénégal afin de demander un renouvellement de son passeport. Ce dernier s’est vu finalement refuser le renouvellement de son document de voyage par les services consulaires de l’ambassade car une telle durée de validité ne le permettait pas.
Dame Fatima arrive au mois de mai à rassembler l’ensemble des documents exigés en dehors de l’enregistrement au registre du commerce à savoir, le certificat de résidence, le casier judiciaire, l’attestation médicale, le certificat de mariage, un contrat de bail prouvant qu’elle est locataire et une garantie donnée par un citoyen mauritanien. En plus des 30000 ouguiyas (75 euros) non remboursables, de frais de demande de la carte de séjour. Elle s’en va déposer sa demande au bureau d’immigration dédié aux cartes de séjour à Nouadhibou, le seul bureau à part celui de Nouakchott la capitale où il est possible de faire sa demande. » Avoir un bureau de l’immigration à Nouadhibou a déjà été un grand soulagement pour nous, car au début il fallait que tout les migrants de Mauritanie se rendent au commissariat de Tevragh-zeina à Nouakchott, à 470 km de Nouadhibou, pour la demande de carte. Il y avait tellement d’affluence que les agents n’acceptaient que 150 demandes par jour. Imaginez-vous avec toute votre famille à Nouakchott où il fallait trouver un hôtel pour héberger, se lever à 3h du matin pour espérer avoir un ticket pour être servi. A moins de corrompre le policier qui donne le ticket. Imaginez la souffrance quand vous êtes obligé d’attendre de 3h du matin jusqu’à 10h voir 11h. Et malgré cela on était nombreux à vouloir avoir la carte de séjour. 150 personnes par jour qui payent 30000 ouguiyas sur une année, imaginer ce que cela a du rapporter au gouvernement mauritanien. En plus des pots de vin à donner aux agents de police pour son dossier. Une fortune dépensée mais on voulait vraiment la carte de séjour pour vaquer librement à nos occupations. Pour les autres qui ne vivent ni à Nouakchott ni à Nouadhibou, c’est la même souffrance qui continue. «
Un mois après le dépôt de sa demande, Dame Fatima revient au bureau d’immigration apprendre que sa demande a été refusée par les autorités mauritaniennes. En effet, depuis cette année, l’Etat mauritanien exige une attestation de la Chambre du Commerce de Mauritanie à tous les migrants disposant d’un enregistrement au registre du commerce. Dame Fatima ne le savait pas et elle n’en a pas été informée lors du dépôt. Elle se voit donc obligée de se rendre à Nouakchott en veillant bien sûr à donner aux nombreux points de contrôle tout au long de la route un pot de vin aux gendarmes et policier pour pouvoir passer. A Nouakchott, la Chambre de Commerce l’informe qu’il est impossible qu’elle se voit délivrer une telle attestation. Elle revient donc sur Nouadhibou transmettre cette réponse reçue de la Chambre du Commerce. Drôle de chance, lors des discussions avec les officiers d’immigration elle leur pose la question suivante : « Si moi, la représentante officielle de ma communauté en Mauritanie, désignée par l’ambassade de mon pays, je n’arrive pas à avoir ma carte de séjour comment les autres membres de ma communauté peuvent s’y prendre ? ». Alors les officiers d’immigration demandent à voir sa lettre de nomination comme responsable de sa communauté en Mauritanie et la scanne à l’endroit des services compétents de Nouakchott. Trois jours après, elle reçoit un appel du bureau de l’immigration lui demandant de passer retirer sa carte de séjour.
Une histoire parmi des dizaines de récit que nous avons récolté lors de notre séjour avec les migrants à Nouadhibou. Des migrants qui nous ont confié avoir recours aux services de faussaire pour avoir de fausses attestations de la Chambre de Commerce car par la voie légale il est quasi impossible d’obtenir une telle attestation. Pour cela ils déboursent 18000 ouguiyas (45 euros). Devant ma réprobation face à cette fraude qui peut leur valoir un emprisonnement, je me suis vu répondre : « A qui la faute, à nous qui voulons avoir nos papiers ou à eux qui nous compliquent tout pour qu’on ne puisse pas les avoir. Nous voulons vivre ici en Mauritanie et continuer le travail que nous faisons ici. Mais eux ils nous voient toujours comme des migrants voulant rejoindre l’Europe. Et ils nous compliquent tout. » Je n’ai pas su quoi répondre à cette interpellation.
Une intégration difficile
Jacques est enseignant de français dans une école privée fréquentée par les enfants de la haute société mauritanienne où les frais de scolarité s’élèvent à 300 000 ouguiyas (750 euros). Installé depuis 1999 en Mauritanie, il est progressivement devenu le chef de sa communauté à la suite du départ de leur doyen. Ce dernier a vécu 56 ans en Mauritanie. A son arrivée le pays n’était pas indépendant. Il a consacré toute sa vie comme employé au sein d’une société appartenant à une famille mauritanienne. Fort avancé en âge, et après 50 ans de bons et loyaux services, la société lui remis son transport pour regagner son pays d’origine. En effet, il avait passé toutes ces années en Mauritanie, touchant moins que le SMIC, sans jamais avoir la possibilité de se construire une famille. Il mourut une semaine après son retour dans son village natal.
Nafissa m’a dit tout de go lors de notre première rencontre: » L’intégration sociale, pour nous les migrants subsahariens, est impossible en Mauritanie contrairement aux marocains et aux sahraouis qui rencontrent moins de problème. Tu peux parler aussi bien l’arabe qu’eux, tu resteras toujours un négro-africain.« . Ne partageant pas cet avis, je lui ai présenté ma vision de la société mauritanienne telle que je l’ai vu depuis mon arrivée. J’ai été très bien accueilli dans l’ensemble des communautés. Et pour soutenir mes arguments je lui ai raconté cette histoire que j’ai eu dans le bus qui m’amenait de Nouakchott à Nouadhibou dans lequel, seule personne noire, je me faisais harceler à chaque poste de contrôle par les policiers et les gendarmes me demandant l’argent pour le thé alors que mes papiers étaient en règle. C’est mes compagnons de voyage maures et mauresques qui se sont révoltés à certains postes et ont pris ma défense. Et j’ai été très ému quand un parmi eux a crié haut et fort aux policiers : « Nous sommes tous africains.« . De son vécu quotidien, Nafissa a considéré mon récit comme un fait divers.
Elle me raconte à son tour la douloureuse histoire du fils d’une de ses amies migrantes qui s’est vu refuser le passage à un examen scolaire n’ayant pas un numéro d’identification national. Par la suite j’ai eu à apprendre que nombreux sont les enfants de migrants se retrouvant dans cette situation et obligés de perdre ainsi une année scolaire. Des vies gâchées à cause de formalismes administratifs et de papiers en un siècle où les leaders ne cessent de rabattre aux oreilles la nécessité du respect des droits humains fondamentaux dont le droit à l’éducation. J’ai aussi appris par Nafissa comment, pour une étrangère, il est difficile d’épouser un mauritanien sans amener un tuteur de sa communauté. Faute de quoi le mariage n’est pas reconnu et les enfants issus d’un tel mariage sont privés d’acte de naissance.
Des enfants privés d’acte de naissance, ayant des difficultés à passer leurs examens scolaires, des travailleurs au noir sans contrat de travail et poursuivis comme des criminels par les forces de police, des migrants en détresse privés de soins car sans moyens. « Et pourtant nous les aidons à construire ce pays. Sur les chantiers de construction, de la maçonnerie à la peinture, c’est les sénégalais et les maliens. Sur les bateaux de pêche c’est les gambiens et les sénégalais, pour les travaux domestiques c’est les maliennes, dans les restaurants, les blanchisseries, c’est les togolaises… Dans de nombreux secteurs nous sommes là, présents, et nous voulons que ce pays avance car nous l’aimons et voulons continuer à y vivre pour que nos enfants y grandissent. Regardez ce qui se passe par rapport à la pêche. Ils ont donné des permis de pêche aux gros bateaux chinois et coréens, ont donné des permis de pêche aux européens et ne donnent plus de licence de pêche aux piroguiers sénégalais. Et tout le monde se plaint à Nouadhibou qu’il n’y a plus de poissons alors que la côte mauritanienne est la plus poissonneuse au monde. C’est normal puisque les européens, les chinois et les coréens exportent tout le poisson. Qui en profite ? » m’a confié Bouba lors d’une causerie dans le taxi conduit par Amadou un guinéen.
Tous responsables
Dame Fatima à la tête de sa communauté me narra les nombreux problèmes auxquels elle doit faire face. Elle a pu arranger dans son lieu d’habitation un coin de passage pour tous ses compatriotes qui par les circonstances de la vie se retrouvent en difficulté durant leur voyage en Mauritanie. Elle les héberge, les nourris et fait de son mieux pour régler les problèmes qu’ils rencontrent pour permettre à ce qu’il puissent continuer leur chemin s’ils veulent continuer dans leur parcours. Elle leur sert de mère pour les conseils liés à leur vie sociale, de sœur pour les migrantes en difficultés, en instance de divorce et autres. Elle contribue à la mobilisation de la communauté pour pourvoir des soins de santé aux migrants en détresse et pour le rapatriement du corps d’un des leurs décédé. Elle s’occupe des problèmes juridiques quand il y en a. Son cri de cœur est pour ces migrants bloqués dans le « No man’s land » entre le Maroc et la Mauritanie, que les deux pays se rejettent mutuellement faute de leur pourvoir les documents nécessaires pour continuer leur voyage et qui dorment dans des containers. Elle se sent impuissante face à cette situation.
« Je m’en remets à la grâce divine pour tout ce que je fais. Je le fais sans aucune rémunération et mes seuls demandes au niveau de l’ambassade à Dakar sont de nous apporter l’assistance sociale quand une personne est malade, juridique quand une personne est en conflit avec les lois mauritaniennes et un appui pour le rapatriement de ceux qui le demandent. Nos appels à leurs endroits sont lettres mortes. Même pour organiser la fête nationale de notre pays ici nous nous cotisons car l’ambassade n’a pas de budget pour nous. » Cette situation n’est certes pas propre à son pays. Malgré les activités fastes pour vanter le rôle des diasporas dans le développement du continent, rares sont les pays africains qui accordent un budget annuel à leurs ambassades pour la protection sociale et juridique de leurs citoyens résidents à l’étranger. Les diasporas sont sollicitées pour construire leur pays d’accueil et de départ et laissées à elles-mêmes quand elles sont en difficulté.
« C’est pour cela que je remercie les gens de l’OIM. Eux au moins ils m’ont aidé à soigner des migrants et à en rapatrier certains. Je remercie Caritas et la Mission catholique de Nouadhibou qui ont beaucoup aidé pour cela. Quand personne ne pense à vous aider on se raccroche à ceux que l’on peut car il y a beaucoup de souffrance quand on est pas dans son pays et qu’on refuse de vous donner des papiers. » m’ a également confié Dame Fatima. Le témoignage de cette femme ne peut qu’interpeller nos Etats qui continuent à confier le sort des leurs à l’aide internationale sans une réelle politique citoyenne à l’endroit de leur diaspora. Après avoir écouté tous ces hommes et femmes, partagé les repas avec leurs enfants, passé autant de temps en leur compagnie dans les rues de Nouadhibou et des cinquième et sixième arrondissements de Nouakchott, il nous fallait passer par ce cri d’écriture pour rappeler que nous portons collectivement la responsabilité des souffrances de nos frères et sœurs migrants en Mauritanie.
C’est de notre faute aussi bien aux citoyens européens, qu’africains que d’avoir laissé l’Europe développer l’externalisation de ses politiques migratoires sécuritaires et de chasse aux migrants vers la Mauritanie en y créant des centres de rétentions pour des africains sur le sol africain. C’est à ce prix que l’Europe et en particulier l’Espagne a pu vaincre la vague de migration vers Las Palmas aux Iles Canaries. S’appuyant sur l’amalgame actuel entre la lutte contre le terrorisme et la chasse aux migrants, huit millions d’euros ont été ainsi accordés par l’Union Européenne à la Mauritanie pour l’implémentation d’une stratégie de migration adoptée en 2011. Une stratégie de migration qui comme dans tous les autres pays d’Afrique est rédigée avec des consultants européens favorisant le sécuritaire sur les droits humains. C’est tout autant de notre faute en tant que citoyen d’assister silencieusement à l’avancée des frontières européennes des pays sahéliens d’Afrique de l’Ouest jusque dans la corne de l’Afrique et à la transformation du Niger en base arrière des forces européennes de répression de la migration sous prétexte de la lutte contre le terrorisme.
La recolonisation de l’Afrique est en marche et comme hier on brandit les pacotilles de projets et des fonds dit d’aide au développement pour brimer les africains et avoir la main sur les orientations politiques dans leur pays. Notre responsabilité dans cette situation en tant qu’africain est non de ne pas être entré dans l’histoire comme le disait Nicolas Sarkozy mais de ne jamais tirer des leçons de notre histoire depuis notre rencontre avec l’Europe, le Moyen-Orient et le reste du monde. Notre responsabilité en tant que citoyen, électeur, nous exprimant sur la destinée de nos Etats, est de leur rappeler qu’ils doivent nous protéger et lutter pour une réelle émergence d’un continent africain uni. Un continent africain fort sur la scène internationale et dans les négociations qui engagent la mobilité de ses citoyens et non d’une Afrique toujours à la traîne à qui l’Occident impose ces désidératas. Ce sera de notre faute si demain les pays africains ne changent pas de cap. La nuit est longue mais le jour vient.